J’avais l’impression de jouer dans un mauvais film, que la moindre variation de scénario ramènerait à la case départ, sans issue possible pour la belle idylle que j’avais envisagée avec l’acteur principal.
Non, ce n’était pas un jeune premier.
Il ne devait pas être à son bout d’essai.
Il maniait le rôle avec une dextérité stupéfiante.
Calembours, coups de théâtre, dérision, causticité, humour, imagination débridée …
C’était un plaisir renouvelé que de lui donner la réplique.
Il était avenant, attentif … il me donnait parfois des conseils d’écriture, peaufinait certains de mes dialogues, me secouait dans mes déclarations péremptoires.
Il s’absentait souvent, appelé vers d’autres missions de représentation.
Il avait de beaux rôles à jouer ailleurs, une célébrité à entretenir, des femmes adulantes à rencontrer, des intellectuels éclairés avec qui avoir des conversations utiles.
Et moi, je me sentais toute petite.
Cet univers filmique était quelque chose d’étranger pour moi.
Qu’il m’ait laissé entrer dans le sien, je n’en revenais pas. Ma lucidité habituellement clairvoyante à ce sujet semblait s’être endormie.
Quelques houles étaient venues perturber la douceur béante où nous avions baignés au début. Certaines piques, des propos acérés de part et d’autre avaient obscurci nos échanges. Mais je comptais sur la tendresse que j’avais ressentie très fort pour niveler tout ça.
Puis, après une plus longue absence, il revint, distant. Ses réponses étaient plus évasives, plus hésitantes. Il me dit enfin ce qui couvait depuis un certain temps : le rôle ne l’intéressait plus. Il ne parla alors plus que de divergences.
Je pensais qu’il avait trouvé un contrat ailleurs. J’en eus bientôt la confirmation en lisant un entrefilet dans la gazette. Sa partenaire était la partenaire rêvée : belle, jeune, cultivée, spirituelle, prête à déployer le tapis rouge flatteur à la moindre de ses répliques, goûts déclarés identiques, connivence apparemment parfaite !
Moi, je suis restée seule avec mon scénario inachevé.
J’ai bien essayé de lui concocter quelques variantes mais le moral n’y était pas, le moteur, non plus, parti pour une autre adresse.
Alors j’ai placardé sur la porte des coulisses :
Suspension à durée indéterminée pour cause de désistement …